Introduction
Le clivage est l’un des mécanismes psychiques centraux du fonctionnement pervers narcissique. Il s’agit d’un processus de séparation rigide entre deux pôles psychiques incompatibles, qui permet au sujet de maintenir une cohérence interne fictive en expulsant certains contenus affectifs inassimilables. Cet article examine les deux grandes phases du clivage : la phase de captation, et la phase de rejet (ou expulsion), en les articulant avec le modèle neuropsychologique des deux systèmes de traitement de l’information (cerveau rationnel vs cerveau archaïque).
Le clivage
Le clivage : une réponse à une structure du Moi défaillante
Le pervers narcissique souffre d’un déficit du Moi : sa structure psychique est incomplète, instable, morcelée. Il ne dispose pas d’un noyau identitaire stable à partir duquel il peut penser, ressentir, s’identifier de manière continue.
« Le Moi du pervers narcissique est comme une coquille vide, sans intériorité réelle. » — Paul-Claude Racamier, Le génie des origines, 1992
Pour survivre psychiquement, il développe alors une stratégie défensive extrême : le clivage.
Le clivage permet de séparer :
D’un côté, une image idéalisée, grandiose, pure (le faux self)
De l’autre, les affects insupportables : dépendance, honte, faiblesse, culpabilité, besoin d’amour (refoulés ou projetés sur autrui)
II. Phase 1 : Le PN trouve en sa victime une source psychique
Le pervers narcissique perçoit une richesse intérieure chez sa victime (cohérence intérieure, amour, calme, empathie, stabilité, intégrité…)
Par le seul fait d’en avoir conscience et d’y être exposé, une empreinte de cette richesse se forme dans sa psyché et s’active comme si elle émanait de lui, comme si elle lui appartenait en propre.
Il ne reconnaît pas que cette richesse vient de l’autre : il la capte, l’intègre, et la confond avec son propre contenu psychique.
Ainsi par le seul fait qu’il soit exposé à cette richesse il l'a perçoit comme sienne :
« Il capte la lumière de l’autre comme si elle venait de lui-même. » — Marie-France Hirigoyen, Le harcèlement moral, 1998
Ce processus psychique est automatique et inconscient : le PN confond la source extérieure avec une émanation de lui-même. Il y a introjection parasitaire.
« Le pervers narcissique aspire l’énergie psychique de l’autre pour combler le vide de son être. » — P.-C. Racamier
A ce stade la victime n'a pas de perte d'énergie - le pervers n'a fait que de s'inspirer des valeurs de sa victime pour alimenter son son système de régulation émotionnelle.
III. Phase 2 : L’expulsion — ou le rejet de l’intolérable
Lorsque les émotions désagréables, les conflits internes ou les fautes deviennent psychiquement menaçants, le pervers ne peut plus psychiquement les soutenir, alors ils sont refusés, niés, puis projetés sur l’autre.
1. Clivage et projection
Les affects insupportables (colère, honte, sentiment d’échec, besoin d’aide) sont expulsés sur autrui via des mécanismes projectifs :
Gaslighting : manipulation de la réalité pour faire douter la victime
Culpabilisation : transfert de la faute ou du mal-être sur l’autre
Inversion des rôles : il se pose en victime de ce qu’il produit
« Ce qu’il ne peut pas être, il l’accuse l’autre de l’être. » — Jean-Charles Bouchoux, Les pervers narcissiques, 2009
2. Le double bénéfice du clivage
Le clivage permet ainsi au PN :
De s'inspirer des valeurs de sa victime comme d'une source accessible
De se décharger de ses propres tensions internes (projection)
Ces deux dynamiques forment un circuit fermé qui vise à maintenir une image de toute-puissance au prix de la réalité et de l’altérité. C’est ce fonctionnement clivé qui alimente l’emprise, la destruction psychique et la dépendance affective dans la relation avec un pervers narcissique.
Le sujet garde intacte une image de lui valorisée, tout en instrumentalisant l’autre pour réguler son chaos intérieur.
3. La boucle énergétique relationnelle
Plus la victime réagit émotionnellement, plus elle offre au pervers des éléments pour renforcer son emprise et restaurer son image interne instable.
C’est ainsi que l’on peut dire, rigoureusement : le pervers narcissique se nourrit de l’énergie psychique des autres, car leurs affects deviennent le carburant de son système défaillant de régulation interne.
La résultante étant que plus la victime s'épuise plus le pervers gagne en puissance. Cela fait penser à un transfère d'énergie d'où provient l'allégorie du vampire émotionnel.
IV. Le modèle des deux cerveaux : une lecture neuropsychologique du clivage
Inspiré des travaux de Daniel Kahneman (Système 1 / Système 2) et des neurosciences affectives, on peut comprendre le clivage comme une dissociation entre deux circuits psychiques.
Chez le PN, ces deux systèmes sont en conflit constant. Le système archaïque refuse l’intégration de certaines émotions, et le système rationnel construit des récits valorisants, déconnectés du ressenti réel.
Le clivage agit alors comme une stratégie d’équilibrage artificiel : il permet à ces deux systèmes de fonctionner en parallèle, mais sans se rencontrer.
« L’individu clivé ne pense pas ce qu’il ressent et ne ressent pas ce qu’il pense. » — D. Winnicott, Jeu et réalité, 1971
Psychologie positive et sophrologie
On retrouve dans la psychologie positive et dans la sophrologie une pratique similaire qui consiste à visionner ou revivre mentalement des valeurs ou des moments agréables pour se les approprier émotionnellement.



